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Alchimie

Notes

Frédéric O. Sillig



Sur ma route, un hameau caché dans les Préalpes fribourgeoises. C'est là que je suis chargé par un ami de livrer de toute urgence un mystérieux sac de voyage. Le destinataire en est son propre fils qui, sous les drapeaux, y savoure pour l'heure une villégiature imposée. Le site est difficile d'accès. Je finis enfin par me garer devant une boucherie adossée à une sorte de cantine branlante surmontée d'une pancarte qui lui donne avec emphase du « Restaurant ». Ce doit être le bon endroit puisqu'à proximité s'affairent quelques griffetons autour d'une longue baraque en construction. En quête du destinataire du colis, je débarque de ma carrosserie pour être plongé d'un seul coup dans une odeur qui frise la pestilence. Ce qui n'a pas l'air de troubler ces militaires affairés dont l'un d'eux s'empresse d'aller quérir celui qui porte le patronyme que je leur indique. Le récipiendaire du bagage me rejoint presque aussitôt. C'est un sergent-major. Un sous-off qui me remercie avec un excès probablement dû à l'amitié que je porte à son père et me propose un apéritif avant mon départ. Installé dans la gargote devant un pastis, et après les quelques banalités d'usage, je m'étonne auprès de mon interlocuteur de l'aspect surréaliste du contexte environnant : Des bidasses qui, sans encadrement, construisent à côté d'une boucherie une cabane tout ce qui a de plus civile dans une puanteur insoutenable. Le rire du fils de mon ami est rapidement remplacé par une moue remplie d'indignation. Alors commence à mi-voix l'explication de la situation et du subtil fonctionnement du lieu.
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« Ici, l'heureux propriétaire du nos quartiers, boucher de son état, est le beau-frère de l'officier général de carrière qui commande notre régiment. Ses adroites qualités de persuasion aboutissent naturellement à susciter l'engagement spontané des troupiers à la construction de cantonnements qui seront mis à la disposition d'eux-mêmes, en contrepartie d'un loyer substantiel qui sera lui, facturé à l'intendance de l'armée. Un loyer qui s'ajoute à celui de la « salle à manger » où nous sommes, qui permettra à ces braves guerriers de reprendre forces et moral en consommant les boissons vendues par notre boucher ainsi que la viande de son officine adjacente, mais aussi les légumes plantés et récoltés dans le carré voisin par l'insouciante soldatesque ravie d'échapper ainsi au biribi. Le tout sera bien entendu facturé à un quartier-maître très respectueux de sa hiérarchie et particulièrement de son cher commandant de régiment. Par ailleurs on ne peut bien sûr imaginer que l'effectif d'une ou deux compagnies d'infanterie, dans l'effervescence de sa jeunesse, puisse passer quelques mois dans un endroit sans provoquer quelques menus dégâts aux installations. Aussi, des photographies de ces dommages à la propriété sont-elles périodiquement prises avant réparation – par la troupe – en vue d'une juste indemnisation – par les finances publiques – du propriétaire odieusement lésé. Pour terminer, afin d'alléger quelque peu la légendaire philanthropie de ce louchebem d'exception, la récupération des déchets de table et de cuisine est assurée par un commando de deux combattants désignés au quotidien, qui va transformer ces reliefs en lavures destinées à engraisser les porcs dont les soues jouxtent les dortoirs de nos valeureux miliciens. »

Fort de mon édification en matière d'alchimie civique, je reprends la route.
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rquad.jpg   FOS © 19 juillet 2015

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