

Flânerie corsée
Notes
Frédéric O. Sillig

Flâner sur des boulevards à l'instar d'Yves Montand, n'est pas vraiment dans mes habitudes. Mais aujourd'hui, je déambule sans but aucun, sur le cours Napoléon d'Ajaccio, avec fils et bru. Il est environ 10 heures trente du matin. La ville est animée, en ce milieu du mois de septembre 2020 mais, Covid oblige, les touristes sont peu nombreux et mon agoraphobie en est particulièrement comblée. Voilà que l'attrait d'une boutique interpelle ma chère belle-fille. Elle y pénètre suivie de son époux. La boutique CATIMINI. Mon atavique désintérêt pour les chiffons me fait posément poursuivre ma route en quête d'autres découvertes censées sortir davantage de l'ordinaire. Voici une « Gelateria ». Rien de plus ordinaire qu'une « Gelateria ». Puis un cinéma. Le cinéma EMPIRE. Un nom ordinaire pour un cinéma. Bien qu'ici, ce nom soit tout à fait circonstancié. Que donne-t-on aujourd'hui au cinéma EMPIRE ? Rien !... Il est en travaux. Voilà qui pourrait m'intéresser mais surtout me servir de prétexte pour ralentir mon éloignement de la boutique. Pas de renseignement sur les travaux., la construction, l'architecture. Juste le panneau réglementaire sur les données du permis de construire. Pas de quoi s'attarder. Ni de retourner devant la Gelateria. Et surtout renoncer à commander un de ces cornets qui se dissolvent à la fonte de la glace pour, à coup sûr, saloper mon polo tout neuf. Il fait très chaud et mon nerf sciatique commence à se réveiller. Un bistrot jouxte le cinéma EMPIRE. Devant le bistrot, un arbre pour m'appuyer un moment et me rafraichir. Pas question de m'y installer ; ils vont arriver. Le bistrot s'appelle-t-il comme le cinéma ? Impossible de le savoir. Juste une toile de tente grise montée sur des poteaux métalliques blancs qui abrite une terrasse presque déserte. Seule une table occupée contre la façade. Quatre individus du genre ténébreux. Fin de quarantaine ou un peu plus. Pas encore l'âge de la retraite. C'est le milieu de la matinée. Pas très ordinaire. Mais j'oublie, je pense à ma jambe et j'envisage de retourner devant la boutique. Les quatre types se mettent à chuchoter. Arrivé devant le cinéma j'aperçois mes deux « jeunes » quitter leur échoppe. Je retourne contre mon arbre pour reposer ma jambe en les attendant. Cette fois c'est « la bande des quatre » qui semble m'observer discrètement. Ils parlent à voix basse. Un des croquants se retourne lentement pour jeter un coup d'œil très rapide de mon côté puis se remet à parler aux trois autres de manière inaudible pour moi. Je suis maintenant rejoint par mon fils et sa compagne et nous continuons notre promenade pré dinatoire. Je ne me préoccupe plus vraiment de l'épisode du bistrot, mais plusieurs fois dans la journée et durant les jours qui suivent, je suis tourmenté par l'attitude bizarre et inhabituelle de ces individus. Un mélange de méfiance noire saupoudrée d'une crainte insaisissable. Une atmosphère topique peut-être ? Évidemment, la Corse, je ne la connais pas encore…
Retour dans mes pénates pour retrouver le « long fleuve tranquille » d'une existence parfaitement sereine. Mais le journal « Le Monde » m'apprend le 30 novembre qu'il y a du rififi en Corse. Ça m'intéresse :
(…) Au terme d'une enquête de deux ans, la juridiction spécialisée en matière de lutte contre le crime organisé (JIRS) de Marseille entendait, le 28 septembre dernier, arrêter, notamment, les membres du noyau dur de la bande du Petit Bar. Mais à l'arrivée des policiers, Mickaël Ettori, Pascal Porri et André Bacchiolelli étaient déjà partis en cavale. Seul le chef, Jacques Santoni, considéré comme le « nouveau parrain de la Corse-du-Sud », n'avait pas fui, car il est tétraplégique depuis un accident de moto, fin 2003.(…)
Qui sont ces quatre individus ?
- Jacques Santoni, alias "Tahiti", est né le 4 février 1978 à Ajaccio. Condamné à huit reprises, présenté comme le "cerveau" de l'assassinat du bâtonnier Sollacaro en 2012 à Ajaccio.
- Pascal Porri, alias "l'ampoule", le bras droit, né le 2 décembre 1972 à Ajaccio, est "l'ami, le confident, l'homme de confiance" de Jacques Santoni, selon la procédure Sollacaro. Condamné pour extorsion, recel et associations de malfaiteurs, il a aussi écopé de six ans de prison pour la tentative d'assassinat visant Alain Orsoni en 2008.
- Michael Ettori, alias "Mika" ou "Canapé", né le 28 avril 1973, a déjà été condamné pour extorsion, trafic international de stupéfiants et association de malfaiteurs.
- André Bacchiolelli, dit "tête tordue", né le 13 mai 1967 à Ajaccio et présenté comme "un homme de main", a été condamné en 2007 et 2008, notamment pour trafic international de stupéfiants et association de malfaiteurs.
Du beau monde qui s'ajoute à Yves Robert ( rien à voir avec La Guerre des Boutons01), un flic soupçonné d'avoir prévenu les susmentionnés de la future opération du 28 septembre. Tout cela est édifiant mais qu'est ce que c'est que cette histoire de « bande du Petit Bar » ? Maintenant toute la presse se gargarise avec « Le gang du Petit Bar », « La bande du Petit Bar02 » ! Est-il vraiment « petit » ? D'abord où se trouve-t-il ? Je suis peut être passé devant ces dernières semaines. Je suis curieux. Alors, réflexe : Google Maps !
Résultat : 28, cours Napoléon Ajaccio.
… Juste à côté du cinéma EMPIRE !

FOS © 21 juin 2025

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