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Le boîtier

Notes

Frédéric O. Sillig



« Voilà ma feignasse qui m'a encore fait de la boîte ! ». Une sentence souvent perçue dans certains milieux, avant l'ère du micro-onde et du surgelé et qui ne souffre, dans ce contexte, d'aucune ambiguïté quant à la nature du récipient invoqué. À l'instar d'Albert Simonin qui faisait de l'estomac une « boîte à ragoût », la langue française fourmille de composés lexicaux contenant ce même morphème. En parlant de locaux de nuit, scolaires, ou simplement d'entreprise, qui plus est dans l'environnement de tout un chacun, qu'elle soit à ouvrage, à gants, à images, à lettres ou à ordures, c'est partout que l'on retrouve cette expression aux multiples visages. De plus, les jargons de presque tous les métiers en sont pétris. À graisse, à étoupe, à culasse, à vitesses pour les mécaniciens, à onglet, à recaler pour les menuisiers, à feu, à sable, à vapeur pour les cheminots, à fumée, à clapet pour les fumistes, à dérivation pour les électriciens. Même les militaires en sont largement dotés ; à mitraille, à boulets, à poux, sans oublier, au faîte de la gastronomie soldatesque, la légendaire boîte de singe. On peut bien entendu multiplier les références en parlant des organistes et leur boîtes à vent et de leur fameuse boîte d'expression ou alors des théâtres et leur boîte à sel, des biologistes et leurs boîtes de Piétri et encore l'illustre boîte à Perette des Jansénistes, que l'on a du mal à juxtaposer à la boîte à meuh des farceurs. Légendaire aussi, celles à dominos qui fait le beurre des croque-morts surtout lorsqu'ils les rendent réutilisables. Et il y a bien entendu les boîtes de Marcel Duchamp qui en a fait un art et pour terminer par celle de Pandore dont l'ouverture est souvent vouée à une fâcheuse perspective.
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Mais voici que, prenant de la distance sur les quelques trouvailles de Léonard de Vinci, la technologie avance à grands pas et nous fournit aujourd'hui de petites merveilles logicielles qui font rêver leurs futurs usagers, souvent au travers de la supposée admiration des autres.
Quoi de plus stimulant qu'un résultat obtenu, sans plus d'énergie physique que de logique ou de vertu structurelle, par une simple pression sur un bouton ? Qu'importe que la finalité de l'opération ne corresponde pas toujours aux intentions premières du détenteur de l'appareil, et encore moins à ses réels besoins, puisque la magie du résultat suffit à le satisfaire. Les explications fumeuses des promotions, assorties de promesses de bonheur absolu, ajoutent une part de mystère à l'acte d'acquisition de ce genre d'outillage. Geste par ailleurs renforcé par les propos infantilisants de leurs vendeurs et à l'écoute de leur sabir singeant celui de la haute technologie, et qui par là, participent aussi bien à la revalorisation sociale de leur cible qu'à celle de leur propre statut de pousse-carton. Outre la stipulation « FACILE » – ou encore mieux « EASY » – qui doit obligatoirement figurer sur l'emballage, il est un aspect purement commercial qui pose un sérieux problème. Celui de la désignation de l'objet qui ne doit pas discréditer les ambitions technologiques affichées du candidat à l'achat, tout en évitant par tous les moyens de heurter sa quiétude intellectuelle. La solution est de se rabattre sur le contenant, la carrosserie qu'il est facile de nommer au moyen d'une formulation générique. Mais comment appeler cet écrin sans tomber dans la vulgarité d'un lemme évoquant un conditionnement de fer-blanc sorti d'une conserverie ? La solution est issue du génie horloger : Un « boîtier ».

On peut déduire de tout cela qu'au plan sémantique, une « boîte » est un récipient dont on connaît parfaitement ce qu'il renferme à l'opposé de ce que l'on appelle un « boîtier », une mention qui désigne un objet similaire mais qui évite de faire l'effort de comprendre la nature ou le fonctionnement de son contenu. On observe qu'aujourd'hui cette qualification est utilisée à tort et à travers par une classe d'individus dont on se demande parfois si la nature ne les a pas dotés d'un boîtier crânien.
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rquad.jpg   FOS © 11 mars 2017

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