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Le Contemporain

Notes

Frédéric O. Sillig



Une bicyclette et un peu de solitude. Je m'éloigne quelques minutes de mon entourage, attablé près d'une buvette, pour atteindre en trois ou quatre minutes un endroit qui s'appelle At Tarif. Quelques tours de pédale me sortent d'un environnement fertile verdoyant presque luxuriant pour me placer dans une zone d'habitation sèche et dense. Un maillage serré, orthogonal, de maisons contiguës de un ou deux niveaux. Un peu plus loin mon regard embrasse une perspective totalement désertique, enserrée dans un lointain paysage montagneux aride et unicolore. Je ne crois jamais avoir vu de panorama aussi diversifié en me déplaçant sur une distance si réduite ou simplement en tournant la tête. A la faveur d'un léger dénivelé ma vision ne perçoit maintenant que le désert, alors que je ne suis qu'à 600 mètres de la berge occidentale du Nil.
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Voici une piste grossière qui me conduit à un îlot de verdure ou poussent une demi douzaine de palmiers. Peu à peu, je discerne une minuscule maison, un cube de couleur sablonneuse qui, à distance, peine à se distinguer de son décor naturel. Très intéressé depuis toujours par l'architecture de terre, je m'approche de l'édicule avec la ferme intention de me documenter in situ sur l'appareil de brique crue et sur le système porteur de la toiture. Dans mon dos, un braiement suivi d'une onomatopée humaine très douce. Un Bédouin sur son âne, sorti de nulle part, qui se dirige vers la bâtisse que je m'apprête à examiner. Gandoura ou plutôt gallabeya immaculée, petit turban blanc, traditionnel en Égypte, sandales de cuir, le vieil homme à la barbe plus très noire descend de sa monture. Je fais de mon mieux pour faire avorter une méfiance légitime à mon égard. Force gestes et mimiques expressives en démonstration de ma complète ataraxie. C'est réussi. Un sourire édenté me fait entendre que l'homme me souhaite la bienvenue. Il semble heureux que je sois sensible à la gentillesse de son âne que je mets à caresser. Je m'efforce de lui apprendre que je suis architecte et que je m'intéresse à la construction et à l'aménagement de sa maison. Par miracle, il a dû comprendre puisqu'il me fait faire le tour de sa demeure pour me montrer un endroit ou il fabrique lui-même des briques crues avec de la terre et de la paille et de l'eau qu'il tasse dans un moule de bois avant de les faire sécher au soleil. Il me fait savoir que c'est nécessaire à la maintenance de la maison soumise à forte érosion au gré des saisons. Puis il me fait entrer chez lui et m'offre un verre de thé qu'il fait chauffer sur un petit fourneau creusé dans un bloc de pierre installé sous le manteau d'une cheminée. Il se met ensuite à m'informer de l'origine du bois qui sert de charpente à sa toiture qu'il a colmatée avec de la terre et recouverte de branchages. Il tente enfin de m'expliquer les moyens d'approvisionnement dont il dispose et la manière de se nourrir.
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Mais bientôt arrive le moment de se séparer ; au demeurant, avec un brin d'émotion. En me rechaussant, je multiplie les manifestations de sympathie et les « shokran, shokran ! » puis, dos à la Vallée des rois, et selon l'expression canonique, j'enfourche ma petite reine.

Voilà déjà le mat d'une felouque. Je m'approche de la rive du fleuve et de la buvette où je dois être attendu.

Le choc.

Un choc qui m'oblige à m'arrêter brusquement. La prise de conscience que l'homme que je viens de quitter – mon presque contemporain – ne dispose d'aucun objet de conception plus récente que de près de trois millénaires.


rquad.jpg   FOS © 21 février 2013

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