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Le fromage blanc

Notes

Frédéric O. Sillig



Nous sommes au temps où les camemberts pouvaient passer les frontières sans être pasteurisés. Celui où la plupart de leurs petits producteurs n'avaient pas encore été ruinés par la grande distribution et ses pourvoyeurs industriels. Enfin celui où « les bonnes pratiques » en matière de fabrication de produits typiquement normande n'étaient pas encore cathéchisées par des députés finlandais ou estoniens.
En pleine discussion avec Monsieur Menoux, notre fromager habituel, à propos de l'affinage d'un « Le Petit », voilà que surgit dans la boutique notre voisine qui nous salue toutes et tous avec sa légendaire et naturelle distinction. Elle attend son tour avec patience en bavardant avec les deux clientes qui la précédent du bout de son accent subtilement british qui tranche avec le lourd parler des autochtones. Il faut dire que cette dame qui sortit de l'anonymat en chevauchant une Vespa lors de célèbres vacances romaines01 est ici très respectée02. Beaucoup plus pour sa simplicité et sa discrétion que pour ses activités de résistante contre le nazisme en 1944 ou son engagement notoire auprès de l'UNICEF. Deux qualités demeurées pérennes en dépit d'une célébrité planétaire dont témoigne aujourd'hui les hordes de japonais qui se pressent sur sa tombe presque vingt-cinq ans après sa mort. On connaît beaucoup moins le fait que la famine qui s'est abattue sur les Pays-Bas au moment de son adolescence, l'ait placée dans une situation de maigreur squelettique qui la fit par ailleurs renoncer à la carrière de ballerine qu'elle convoitait. Il semble que cet état de malnutrition en fin de croissance a dû avoir, la guerre terminée, une influence importante sur sa future et proverbiale corpulence.
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C'est maintenant son tour et c'est Madame Menoux qui va la servir, sans bien sûr éviter le ridicule passé-conditionnel des commerçants.

   — Qu'est ce que vous auriez voulu ? 
   — Je souhaiterais avoir un peu de fromage blanc s'il vous plaît.
   — On a du séré ! Je vais vous en chercher.
   — Oui mais il faudrait qu'il soit maigre, … très maigre.
   — Je vais voir ce qu'il y a de maigre, Madame.
   — Merci, … en tous les cas, le moins gras possible !

Paniquée, la brave crémière interpelle son mari qui interrompt notre docte conversation pour proposer à son illustre cliente trois produits à moins de 5% de lipides et la gratifie d'emblée d'un cours sur les différentes appellations des fromage à pâte fraîche selon leur origine et leur mode de fabrication : Cottage, Recuite, Caillé, Faisselle, Mascarpone, Séré, Caillebotte, Ricotta, Sérac, etc., tout en lui signifiant que Charles Gervais était un escroc en disant que son lait provenait de Suisse alors qu'il était issu d'une laiterie industrielle normande dont il était propriétaire. Incrédule, la prestigieuse actrice opte avec méfiance pour un produit certifié à 2 % de matière grasse et prend congé de tout le monde avec sourire et aménité.
A peine la porte refermée, Monsieur Menoux, les yeux exorbités, lève les bras au ciel.

   — Maintenant, en plus des fromages, on me demande d'affiner des échalas ! 


rquad.jpg   FOS © 22 mars 2017

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