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Un après-midi sans Histoire.

Notes

Frédéric O. Sillig



1953


Elle a le même âge que moi. Celui auquel on apprend à lire. Elle est la fille d'une baronne suédoise et d'un banquier parisien revenu s'établir sur les terres de ses ancêtres. Elle habite le rez-de-chaussée d'un bel immeuble cossu datant de l'extrême fin du XIXème siècle. Une maison qui aussi abritera, au 3ème étage, le plus clair de mon enfance. Tout en bordure du lac, cette construction a été implantée en 1899 sur un remblai constitué de matériaux issus de l'arasement, sur les hauts de la ville, d'une colline qui entravait le développement du réseau ferroviaire.
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Notre après-midi est aujourd'hui consacrée à une partie de luge sur une pente située à 500 mètres de notre demeure, derrière l'hôtel particulier qui sert de banque au père de ma jeune amie et, à l'étage, de résidence à sa grand-mère. La brutale inclinaison de la pente nous fait en permanence regretter la petite dune beaucoup plus proche de chez nous, rasée il y a trois ans pour faire place à un lycée. Nous pouvions y glisser sans danger à partir d'une petite plate-forme où trônait un banc de pierre sur lequel nous nous reposions parfois. De retour pour le goûter, nous nous livrons maintenant, le long du corridor de ce magnifique appartement, à des courses effrénées avec le petit teckel récemment recueilli par la famille. Bientôt fatigué, je me mets à feuilleter les albums de Tintin du grand frère de ma compagne de jeu. Une découverte pour moi. L'Étoile Mystérieuse, Le Sceptre d'Ottokar. Mes progrès en lecture ont été très rapides ces derniers temps et les bulles d'Hergé sont absorbées sans effort. Je bute toutefois sur un mot bizarre : « Müsstler », alias le colonel Boris, l'aide de camp du roi Ottokar Ier. Ce personnage ne cesse de m'intriguer. Le grand frère, propriétaire du livre, m'explique que le nom de Müsstler est un mot-valise, une fusion de « Mussolini » et de « Hitler ». Deux inconnus. Mais me voilà informé. Et je remonte à mon 3ème étage…
Un après-midi sans histoire.
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Les années passent et nous apportent petit à petit des morceaux de puzzle de l'Histoire que l'on juxtapose aux parcelles de notre propre vécu, de certains souvenirs diffus, ou plus rarement d'événements extrêmement précis surgis de notre mémoire. Les résultats en sont parfois surprenants.

Me voici aujourd'hui, songeant à ce fameux remblai, sur lequel était construit l'immeuble de mon enfance. Il a été prolongé sur le lac en toute fin des années soixante, selon les plans de trois personnages. Le premier avait été l'ancien collaborateur d'Auguste Perret, le second, celui d'Oscar Niemeyer et le troisième, le futur assistant d'Alvar Aalto. C'est-à-dire… moi.
La cour arrière de l'hôtel particulier qui servait d'arrivée à notre piste de luge était l'endroit précis où, en 1842, l'aide de camp du Prince Berthier, le Comte d'Empire Pourtalès Castellane – Grand Écuyer de l'Impératrice Joséphine – avait fait aménager une immense salle à manger sous tente, destinée à recevoir le Roi de Prusse Guillaume IV, son épouse et 330 autres invités.
La petite dune de nos glissades, si regrettée, a fait place à un lycée qui, me régurgita quelques années plus tard, en ma qualité de cancre invétéré. Et le banc de pierre qui y était installé et sur lequel nous nous reposions, avait servi en 1833, le 25 septembre très exactement, de siège à la première rencontre d'Évelyne Hanska et de Balzac.
Mais le plus déroutant est que l'endroit exact ou j'ai pu, à l'âge de six ans, prendre connaissance, par le biais de Tintin, de l'existence d'Adolf Hitler, était la chambre qu'occupait en 1912, alors étudiant, celui que ce sinistre personnage, devenu chancelier du Reich, a longtemps considéré comme son dauphin… Rudolf Hess.
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rquad.jpg   FOS © 1er septembre 2014

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