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La dame de LA

Notes

Frédéric O. Sillig



Un curieux épisode me revient à l'esprit. Je devais avoir 13 ans lorsque je me suis inscrit comme membre d'un club de natation dans l'unique but d'avoir accès à la seule piscine de la région qui avait à l'époque la particularité d'être privée. Depuis cinq ans déjà, je cultivais le crawl avec le souci académique que mon père avait su m'inculquer.
Ce jour là, à l'issue de quelques « longueurs » en bassin de 25 mètres, je me vois nommément interpellé par un escogriffe qui me demande si je voulais bien me laisser entraîner par ses soins. Je suis d'abord surpris que cet échalas soit informé de mon nom alors que je ne le connais que de vue. C'est un riverain du square dans lequel je m'adonne au foot depuis plus d'un lustre avec les voyous du quartier, des « mistons » selon le parler local. À le voir en maillot de bain, il est très peu bronzé ; en réalité il est tout blanc. Il porte un patronyme qui lui sied à merveille, quelque chose comme « Whiteman », si mes souvenirs sont exacts. Mais, détail intéressant, il détient depuis plusieurs années les records nationaux des 100 et 200 mètres brasse. J'accepte aussitôt sa proposition. Et me voici parti pour un destin glorieux à raison de quatre kilomètres par jour de battements, de longueurs à bout de bras et de crawl classique. Les judicieux conseils de mon nouveau coach portent bientôt leurs fruits, puisque je me vois créditer, après trois mois d'efforts de 1'24 au 100 mètres nage libre01.
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Cela ne justifie guère mon abandon de la pratique footballistique de quartier. Ce qui me donne, un soir, l'occasion de croiser incidemment mon distingué entraîneur en grande conversation avec une femme âgée à l'allure insolite. Semble-t-il, cette personne réside pour l'été chez un parent voisin de notre aire de jeu. Les bribes de propos que je peux saisir au passage trahissent l'usage florissant de la langue de Goethe, mais pour ce qui concerne cette digne aïeule, un allemand tudesque éreinté par un accent composite fort bizarre ; un mélange de roumain et d'anglais du nouveau monde. Je n'accorde pas d'importance à ce mystère, mais les jours suivants, cette même simili-teutonne, à chacune de nos rencontres, me sourit sans jamais me parler et se fend même de petits signes amicaux. Je lui rends poliment la pareille non sans arrières pensées sur les raisons psychiques qui motivent sa cordiale attitude envers ma misérable personne. En octobre, j'apprends que cette brave dame est repartie pour Los Angeles rejoindre ses pénates. Mon entraîneur, que j'interroge quelques jours plus tard à son propos, m'informe qu'elle s'appelle Mme Weissmuller02… Et qu'elle est aussi la mère de Johnny03.
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rquad.jpg   FOS © 29 juin 2021

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[01]  13 secondes de plus que le record national d'alors.  [ retour ]
[02]  Elisabeth Weissmuller, née Kersch (1879 Friedorf – 1964 Los Angeles). Friedorf en Austro-Hongrie à l'époque, aujourd'hui un quartier de Timisoara en Roumanie.  [ retour ]
[03]  Johnny Weissmuller (1904-1984) premier homme à passer au-dessous de la minute au 100 mètres nage libre, en 1922, avec un temps de 58' 6 et surtout célèbre incarnation à l'écran de Tarzan l'homme de la jungle. WIKIPÉDI  [ retour ]


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