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Tante Laure

Lettre adressée par courriel au Dr Edmond Prince-dit-Clottu le 19 mai 2006

Frédéric O. Sillig



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Cher Monsieur,

A la faveur d'une communication de votre belle-mère Madame Michelle Rossier, je me permets de marquer la découverte de notre double cousinage par quelques bribes de souvenirs relatifs à un de nos ancêtres communs, une petite miette anodine à verser à un héritage générationnel de plus en plus desséché par le haut débit hertzien ou câblé.

Âgé quelques trois ou quatre ans je découvre l'association du vocable « colimaçon » à l'image d'un escargot en escaladant, comme chaque mardi, la tour-escalier qui conduit au repaire de l'une de mes très vieilles tantes, 5, rue du Trésor à Neuchâtel01. Laure Prince née Roulet en 1865, veuve de l'architecte du Tribunal de Mon-Repos, Ernest Prince :

« Tante-Laure ».

Des souvenirs ? Très peu. Mais restent intacts dans ma mémoire le « Entreeeeeez ! » articulé d'une voix insaisissable et lointaine, perçu avant même d'avoir frappé ou sonné à la porte, le bruit métallique de la clenche de l'antique serrure et la posture recroquevillée de ma mère en poussant le vantail; une posture de défense, pour se prémunir contre l'assaut de l'énorme chat roux juché, dès nos premiers pas dans l'escalier, sur une armoire, guettant l'entrée des hôtes pour bondir toutes griffes dehors, sur les épaules de l'infortuné personnage, ingénument muté à l'avant-garde des visiteurs.
Intact aussi, le souvenir de l'accueil discret de « Tante-Laure » coiffée de son éternel turban Paul Poiret, engoncée dans un amas de couvertures qui regorgeait de coussins multicolores à dominante fauve naviguant sur un sofa Deuxième Empire. Un décor Sarah-Bernhardtien, aux murs invisibles de par la surcharge de dizaines de cadres multiformes qui les tapissaient sans perdre un seul espace, et où la lumière et l'aération nous était crédités avec grande parcimonie.
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Souvenir aussi de l'impressionnant samovar devant lequel ma tante, une fois le chat réinstallé et confondu comme par mimétisme à sa mer de coussins, se plaisait à évoquer avec nostalgie, l'époque de sa gloire passée. Une gloire encore témoignée de nos jours par un des médaillons qui ornent la frise du musée des Beaux-Arts de Neuchâtel nous imposant son profil de déesse grecque au regard fixe, qui maintenant semble toiser avec dérision la construction pseudo-corbuséenne implantée depuis en deçà de la rive du lac.
C'est ici que s'arrêtent mes souvenirs de la personne qui, bien que je l'aie très peu connue, a joué un rôle considérable sur ma destinée puisque je crois savoir que c'est elle qui a mis mon père en contact avec son futur associé neuchâtelois et parisien au sortir d'une guerre passée dans les services de renseignements et de deux années d'errances fatalement barbouzardes au sein du CICR. Par elle, mon destin genevois s'est provisoirement réorienté vers les deux patries de Cendrars.
Bien plus tard lorsque la passion de l'architecture me propulsa au sein de l'atelier d'un ex-dauphin d'Auguste Perret, Maurice Billeter, j'y fis la rencontre d'un très vieux Monsieur, « M'sieur-Favre » qui m'initia à certains secrets [prétendus désuets] de la charpente traditionnelle et de la pierre de taille, et qui me déclara un jour avec fierté avoir débuté en 1904 comme grouillot... chez Prince & Béguin.

Voilà quelques bribes de mémoire que vous retiendrez ou que vous ne retiendrez pas.
Je serais très heureux de trouver un jour une occasion de vous rencontrer.
Bien à vous.

Frédéric 0. Sillig


rquad.jpg   FOS © 19 mai 2006

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[01]  La maison qui vit naître et où vécut Maurice Bavaud, l'homme qui tenta d'assassiner Adolf Hitler. sur wikipedia  [ retour ]

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