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Lui

Notes

Frédéric O. Sillig



     — Youngster please ! 

Cette apostrophe proférée de la voix que n'importe qui aurait reconnu entre trois milliards - le nombre de terriens à cette époque -, résonne encore dans ma tête, après plus de quarante ans.

Une nuit d'octobre des « early sixties » sur un quai de gare désert de la ville fédérale dans l'attente du tout dernier train devant me ramener dans ma bourgade après l'indigne éclipse de mon voiturier du jour. Ce, à l'issue d'un concert mémorable dont un chorus entier de Back O'Town Blues imprégnaient encore mon être au point de ne plus bien pouvoir trouver mon chemin.
Emergeant de l'obscurité, un léger balancement de deux jambes trapues qui pendent de l'un de ces chars, encadrés de ces grandes claies verticales de bois peint en jaune, garés à l'époque sur les quais, face à l'endroit présumé de l'arrêt du fourgon postal.
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Je m'approche, hilare, du très doué imitateur qui en remet.

     — The train for « Tiiouuuun », .... it's here ? 

Un sac de voyage et une petite valise noire avec une étiquette brillante:
« Selmer ». Les jambes, le tronc, la tête d'un ...
C'est LUI !!!

Le choc de ma vie !... Impossible ! 
Comme tous les vrais chocs importants dans une vie, ce choc choque moins que les petits chocs qui sont censés choquer moins, mais qui, en fait, choquent davantage puisque on est moins choqué au moment exact où on en ressent le choc. Logique ! 

Je m'aperçois d'abord que c'est LUI qui était sur le bon quai, ... et moi sur le faux ! 
Me voilà assis sur le char à côté de LUI, sur son invitation après qu'il ait pu identifier dans ma bouche quelques mots de « jive » – avec l'accent de la 52ème, s'il vous plaît – qui supplantait l'anglais résiduel du saupoudrage scolaire que j'avais subi jusqu'alors. Mais je crois qu'il a quand même été impressionné de rencontrer à 6 500 km de chez LUI, un petit con capable, de nommer tous ses camarades de jeu depuis 1923, de faire allusion à ses patrons, ses voyages, ses nanas, ses thèmes et la plupart de ses frasques d'antan.
Mais qu'est-ce qu'il fabriquait là... LUI, tout seul, ici ? 
Il a réussi à m'expliquer qu'il était parvenu à fausser compagnie à tout le monde après le concert et se rendre à la gare avec la complicité d'une certaine Vera, pour qu'il puisse enfin se réfugier chez « a long time friend, » habitant maintenant la bonne ville de Thoune, pour se reposer un peu. Il m'a dit encore que « Joe » 01 serait probablement furieux mais que LUI, il s'en foutait royalement.
Et puis... un long soupir.

     — D'you know... youngste'... tttime passssssezzzzz... very very fast ! 

Je sus bien plus tard qu'il venait d'apprendre, pendant l'entracte, la disparition d'une personne qui LUI était très chère, sans qu' à aucun moment, cela n'ait troublé son apparente et professionnelle jovialité jusqu'au baisser de rideau final.

Quatorze minutes ! .... Le train pour Thoune s'éloigne, le temps passe.
Mon regard est figé sur l'énorme horloge, maintenant devenue « Mondaine », sa lueur crachotante de ses 162/3 Hz de fréquence ferroviaire, et sa légendaire trotteuse terminée d'une palette rouge qui s'immobilise inexorablement toutes les 59èmes secondes de la minute.

Une larme ? Peut-être ! J'ai raté mon train ! 
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Encore une de ces légendes qui me sont réellement arrivées ! 

Satchmo s'est éteint dans son sommeil à Corona, un peu moins de dix ans plus tard02, deux jours après son officiel03 soixante et onzième anniversaire.

Bye Pops ! 


rquad.jpg   FOS © 6 Juillet 2006

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[01]  Joe Glaser (son manager) très probablement.  [ retour ]
[02]  6 juillet 1971.  [ retour ]
[03]  Sa date de naissance officielle est le 4 juillet 1900, dernier Independance Day du XIXème siècle. Par contre, le registre de l'église du Cœur Sacré de Jésus, à La Nouvelle-Orléans, fixe au 4 août 1901 la naissance d'un : « Louis Daniel Armstrong (Niger illegitimus) ».  [ retour ]

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