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Jeu de mains

Notes

Frédéric O. Sillig



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Au cours d'un vernissage, un quidam m'aborde et me pose une question peu congrue. Les termes d'une conversation furtive que j'ai eue bien des années auparavant avec une personnalité XY, nantie d'une très relative célébrité, me fournit une réponse caustique et référencée à lui donner. Mon interlocuteur me quitte ensuite en se disant très impressionné de serrer la même main que XY. Ce qui provoque en moi une réaction muette que j'ai peine à définir du fait de l'aspect dérisoire de la situation. Mais je n'arrive pas à m'empêcher de m'interroger sur cette question qui ne m'a jamais effleuré l'esprit, moi qui ne fréquente le gotha d'aucune caste et qui ai pour bonne habitude de fuir les mondanités. Voilà qui semble s'apparenter aux théories de Mendel pour l'hérédité, en relation directe avec la question suivante: « Qui donc a bien pu serrer les mêmes mains que moi ? » Un exercice de style. Étonnant, bouleversant, effrayant. Je consacre maintenant quelques minutes pour faire le tour des propriétaires de mes « secondes mains ». Qui sont-ils ? Je suis complètement abasourdi par le plus ancien. Napoléon III. Terrifié par Al Capone, Hitler et Mussolini, impressionné par de Gaulle, intrigué par Karl Gustav Jung qui précède le cortège interminable des Lénine, Staline, Mao et autres Nasser. Encore quelques secondes de réflexion me font comprendre que ce club s'élargit logiquement à quasiment tous les chefs d'État qui ont gouverné le monde du début à la fin du dernier siècle. Font également partie de cette société virtuelle, le monde des arts au grand complet, du moins le monde occidental. Peinture, cinéma, danse, littérature, théâtre, musique et le jazz et en particulier. Mis à part ceux que j'ai moi-même rencontrés, il est pratiquement impossible qu'un seul individu notable échappe à cette curieuse appartenance ; ni même Picasso, Fellini, Lifar, Gide, Claudel, Ravel ou Ellington. Personne. Ergo, exceptés Laurel et Hardy.01 Pour ce qui est de la communauté scientifique, c'est à peu près pareil. Comment résister au brusque vertige de voir la terre entière se cristalliser d'un seul coup autour de son propre nombril ? Une explication raisonnée veut que le siècle en question a bel et bien vu l'apogée du développement des communications et des transports internationaux. Ce qui fait qu'à l'inverse des siècles précédents, les gens d'une même mouvance, tôt ou tard, se sont rencontrés au moins une fois dans leur vie. Par ailleurs, des considérations mathématiques nous font apparaître certains phénomènes qu'une fois intellectualisés, à l'image de certains faux mystères de l'hérédité. Pour exemple, je viens d'apprendre que vivent actuellement sur terre 32 millions de personnes qui descendent en ligne directe de Gengis Khan. Me voilà rassuré sur un point central ; mais cela fait ressortir une autre question. Cet ombilical conglomérat est-il rééditable pour le siècle qui s'amorce ? J'en doute fort au vu de l'actuel spectacle, du lissage de toutes les aspérités de la créativité, de la technicité normalisatrice, de la marchandisation de toute manifestation de l'esprit. Émanations qui induisent probablement le fait que notre époque, dans aucune discipline, ne produise vraisemblablement plus de ce qu'on appelle des « Grands hommes ».
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rquad.jpg   FOS © 24 mai 2009

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[01]  Ils ne font pas partie de mes « secondes mains » mais de mes « premières » puisqu'on m'a dit qu'en 1950 à la Victorine à Nice, ils m'avaient tous les deux, porté et embrassé lorsque j'avais moins de quatre ans, cela sur le tournage d'Atoll K qui fut leur dernier film tourné en commun.  [ retour ]

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