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Adieu Mickey !

Notes

Frédéric O. Sillig



28 novembre 2012

Un homme est mort hier tout près de Toulouse.
Je me souviens de son sourire en m'accueillant les bras grands ouverts alors que je sortais de scène.

   — Bonjour cher collègue !

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Ce soir-là, au cœur des années 80, je suis convié à participer à un concert au sein d'un groupe dont j'avais été le cofondateur vingt ans auparavant. J'y retrouve certains anciens camarades qui avaient quitté le groupe, d'autres qui y étaient restés. Comme très souvent chez les jazzmen, le programme musical du concert est décidé quelques minutes avant le lever de rideau, l'ordonnancement des solistes est au mieux inscrit au dos d'un ticket de bistrot. Je n'ai plus joué en public depuis plusieurs années, mais le trac est vite dissipé et je retrouve mes marques sur les thèmes qui me sont imposés. Dans le public, ceux qui me connaissaient autrefois sont surpris par l'évolution de mon jeu depuis quelques lustres d'absence, ce qui a renforce leur enthousiasme à mon égard, ce dont je suis fort surpris. De retour sur l'arrière scène je suis salué par la grande vedette de la soirée que je ne connais que de nom. Mickey Baker, « mon cher collègue ».
A l'époque nous jouions les deux sur le même modèle d'instrument une Gibson ES 330 TD ce qui déclenche naturellement la conversation au cours de laquelle nous nous découvrons de nombreuses relations communes. Hal Singer, Tiny Grimes, Henri Chaix mais surtout Jack Dupree et Memphis Slim dont chacun de nous deux avait été le guitariste. Nous parlons aussi de sa mesaventure avec la chanteuse Colette Magny qu'il évoque avec un léger agacement01 avant de changer rapidement de sujet. Je lui fais alors part de mes difficultés à jouer des exercices du cours de guitare jazz qu'il avait naguère publié et dont j'avais été un étudiant assidu. Mais voilà qu'il me présente sa jeune compagne parisienne Marie qui fait irruption dans notre conciliabule. La future Madame Baker que j'ai pu entendre chanter avec grand talent quelques minutes plus tard. En fait Mickey a voulu réitérer une formule « guitare et chanteuse » à l'image de ce qu'il avait fait dans les années 50 avec Sylvia Robinson – Mickey & Sylvia – avec la ferme intention d'anéantir enfin la persistance de ses piles de factures. Mais le genre n'est pas le même, cette nouvelle compagne est une viscérale admiratrice de Billie Holiday dont elle calque le style avec une sensibilité admirable.
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Après leur passage, nous sympatisons avec Mickey et Marie et nous parlons longuement de l'adaptation du phrasé de Billie dans un contexte musical et instrumental différent de celui de la célèbre chanteuse. Je demande à Marie si elle a inscrit dans son répertoire l'immortelle signature de Billie Holiday, le fameux « Strange Fruit02 ».
Voici sa réponse dont je me souviendrai jusqu'à mon dernier souffle :

   — Je ne suis pas noire, je ne suis pas née à Baltimore, je n'ai pas subi ce qu'elle a subi,
je n'ai pas le droit de chanter ça !

Salut Marie !
Adieu Mickey !


rquad.jpg   FOS © 28 novembre 2012

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[01]  Mickey Baker a composé le tube qui a fait connaitre Colette Magny. Melocoton. Fait qu'elle a renié et refusé de lui en faire profiter pour des raisons ultra collectivistes. Marxistes ou staliniennes selon les jours. [ retour ]
[02]   WIKIPÉDI

Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees

Pastoral scene of the gallant South,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolia sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh!

Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.

**********************************************
Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit suspendu aux peupliers.

Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum de magnolia doux et frais,
Puis l'odeur soudaine de chair brûlée

C'est un fruit que les corbeaux cueillent,
rassemblé par la pluie, aspiré par le vent,
Pourri par le soleil, laché par les arbres,
C'est là une étrange et amère récolte.  [ retour ]

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