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Necker

Notes

Frédéric O. Sillig



Paris novembre 1967

Une partie des études de façades et d'aménagements extérieurs de la nouvelle faculté de médecine de l'hôpital Necker-Enfants malades01 m'est confiée dans le cadre d'un stage marquant au bureau de l'ancien second du Corbusier, André Wogenscky02. En plus de cette tâche, je participe à la énième mouture du plan directeur du site qui ne cesse jusqu'à aujourd'hui de se transformer depuis sa création en 1778, tout comme la matière vivante qui, en son sein, y est étudiée et soignée. C'est sur place que je suis installé dans une annexe de notre agence et mes fonctions me mêlent à l'ensemble des soignants de tout niveau et de tout poil. Une occasion de se familiariser avec bien d'autres domaines que celui de l'architecture. Par exemple, la fréquentation assidue du milieu des internes m'apprend la véritable acception du mot « bacchanale » à la faveur de plusieurs invitations dans des locaux secrets, aux murs revêtus de fresques à caractère délibérément rabelaisien, où se déroulent chaque semaine des agapes que l'on incline presque toujours à désigner par leur nom romain.
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Mon séjour en ces lieux est aussi fait de rencontres avec des personnages beaucoup plus sérieux. Notamment un jeune médecin qui, l'entier d'un repas de midi, me décrit avec force détails les symptômes de « l'aphasie de Broca » avant de m'indiquer que Paul Broca03 – celui de la circonvolution – n'est autre que son ancêtre direct. Je me souviens aussi d'un personnage que les plus délurés disaient vouloir bouffer, puisque tout le monde l'affublait du sobriquet de « Hamburger ». Un homme particulièrement affable, d'une grande simplicité et visiblement doté d'une immense culture, qui m'invitait parfois – à la « cantoche » disait-il – pour me parler d'architecture et de musique. C'est bien des années plus tard que je découvre que ce prodrome du sinistre MacDo, en l'occurrence, n'était pas un surnom, mais le véritable patronyme de l'un des pionniers de la greffe du rein, qui avait été un grand résistant, rescapé du « réseau du Musée de l'Homme04 » , futur académicien, sans oublier aussi qu'il fut le père du chanteur Michel Berger. Le bâtiment « Sèvres » du site de Necker dans lequel il professa porte aujourd'hui son nom : « Bâtiment Jean Hamburger05 ».

Mais ici, le but réel de mon propos est plus anecdotique.
Un matin vers 9 heures, Christophe, le responsable de notre atelier de dessin me tombe dessus sans préavis. Haletant, il se met à dérouler sur ma planche un plan d'une partie du « Carré Necker »06 qui date de la fin du XVIIIème siècle en me demandant de faire rapidement l' esquisse d'un projet d'aménagement de la zone qu'il me désigne sur le « bleu ». On nomme ainsi les dessins reproduits à l'aide d'un ancien procédé, la diazographie07, qui se caractérise par du trait blanc sur fond bleu. Le projet est très simple, il doit comprendre cabinet de consultation, salle d'attente, secrétariat, WC, vestiaire, dépôt etc. Rien de complexe, mais je fronce le sourcil quand mon chef me dit que c'est pour la réunion de 14 heures à laquelle je suis invité, sans bien sûr pouvoir y participer au motif d'une tâche beaucoup plus urgente qui m'échoit en ce début de semaine. La pause déjeuner est ruinée mais l'esquisse est terminée à 13h 48 et livrée à 13h 51. Je reprends mon travail très urgent, après m'être procuré les matériaux nécessaires à la confection d'un jambon-beurre-cornichons. Consécutivement au rapide engloutissement de ce dernier, des hurlements en provenance de la salle de conférences contiguë à notre atelier de dessin parviennent à mes oreilles. À sa sortie du colloque, j'interroge Christophe sur la nature de ce tintamarre. Très dilatoire, il me dit, en coup de vent, que la réunion s'est très bien passée et disparaît aussitôt dans une autre aile du bâtiment.
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Je dois attendre le lendemain pour trouver une réponse à ce mystère à la faveur d'une rencontre fortuite avec un médecin qui participait à la séance électrique de la veille. Il m'informe que l'esquisse que j'avais élaborée le matin même était la cause de la fureur du délégué de la direction de l'hôpital. La raison en est que notre ami Christophe, dans sa légendaire précipitation, avait par erreur localisé le projet dans un endroit mythique, destiné à être prochainement muséifié en grande pompe :
Le laboratoire qu'occupait René Laennec08 et probablement l'endroit où, le 17 février 1816, il créa le premier stéthoscope de l'histoire de la médecine.


rquad.jpg   FOS © 22 novembre 2016

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[01]  Hôpital Necker-Enfants malades  WIKIPÉDI  [ retour ]
[02]  André Wogenscky  WIKIPÉDI  [ retour ]
[03]  Paul Broca  WIKIPÉDI  [ retour ]
[04]  Réseau du Musée de l'Homme  WIKIPÉDI  [ retour ]
[05]  Jean Hamburger  WIKIPÉDI  [ retour ]
[06]  Carré Necker : Le centre historique de l'hopital Necker  [ retour ]
[07]  Diazographie WIKIPÉDI  [ retour ]
[08]  René-Théophile-Hyacinthe Laennec  WIKIPÉDI  [ retour ]

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