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L'anarchiste

Notes

Frédéric O. Sillig



Entre la poire et le Brillat-Savarin, mon ami François01 le physicien me parle de son arrière-grand-père l'anarchiste Albert Nicolet02 et d'un épisode piquant qui échut à ce dernier lors de l'une de ses tribulations judiciaires. Le délice de l'histoire me parait être de nature à faire l'objet d'un petit morceau littéraire à commettre lors de ma prochaine crise d'hédonisme. D'autant plus qu'il doit reposer sur une réelle chronique qui relate l'évènement un demi-siècle plus tard. La réception de la copie de la coupure de journal anéantit tous mes espoirs rédactionnels puisque la qualité du récit m'interdit de me livrer à une interprétation de ce texte écrit en mai 1933, juste après le jugement de l'affaire de la fusillade du 9 novembre 1932 à Genève.03 Un article dont une rapide enquête me révèle qu'il est dû à François-Louis Schulé04, excellent rédacteur en chef de la Feuille d'Avis de Neuchâtel durant quarante-trois ans. Je le reproduis ici in extenso. 
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Quarante-quatre ans plus tôt

Après l'affaire Nicole où, seuls les jurés fédéraux furent, dans leur verdict, les interprètes fidèles de la conscience publique, tandis que la cour ne crut pas devoir, elle, traduire dans son jugement l'intention du jury, il n'est pas hors de propos de se reporter en l'an 1889.
Cette année-Ià Neuchâtel vit également une session des assises fédérales. J'ai quelques raisons de m'en souvenir puisque j'en suivis les débats à titre de reporter occasionnel pour la « Feuille d'avis de Neuchâtel », dont je devais prendre, la rédaction deux ans plus tard.
On jugeait l'anarchiste Nicolet et deux comparses, inculpés par le parquet de la Confédération pour avoir affiché en ville un placard assez incendiaire. La cour était présidée parle le juge fédéral Roguin, assisté de ses collègues, MM. Morel de Saint-Gall, et Olgiati du Tessin. En bon Vaudois, M. Roguin montrait une savoureuse bonhomie qui s'étendait jusqu'à l'accusé principal, auquel il lui arriva de dire, lors d'une suspension d'audience :
   — Ne Vous éloignez pas trop, on ne peut rien faire sans vous !
Nicolet avait choisi son défenseur en la personne du colonel Ami Girard05, l'un des principaux acteurs de la révolution Neuchâteloise et devenu sur ses vieux jours agent de droit. Un peu longuet, M. Girard était remonté dans sa plaidoirie non pas jusqu'au déluge, mais au delà : pour justifier son client, il fit de Caïn le premier révolutionnaire. Les heures s'écoulaient et il parlait toujours; la cour était Inquiète, l'auditoire impatient et Nicolet tranquille comme Baptiste. Enfin vint le tour du procureur général extraordinaire, M. Joseph Stockmar06, alors conseiller d'État bernois et conseiller national. Son réquisitoire fut bref mais vigoureux écouté par Nicolet avec quelque chose comme l'ombre d'un sourire. Avant de prononcer la clôture des débats, le président questionne:
   — Accusés désirez-vous prendre la parole ? 
Et Nicolet de répondre, à l'étonnement général :
   — Oh ! Monsieur le président, ce sera court; je voudrais simplement lire un sonnet, si vous le permettez...
Ces quatorze vers où le poète, avec une verdeur égale à celle du placard incriminé, demandait la tête des rois ne mirent pas longtemps à être débités quoique le lecteur mit une certaine complaisance à les détailler. Néanmoins, ceux des assistants qui se trouvaient alors regarder le procureur général crurent lui voir une attitude gênée.
Ce qui s'expliqua lorsque arrivé au bout de sa lecture, Nicolet dit avant de se rasseoir
   — L'auteur de ce sonnet est M. Stockmar qui vient de requérir contre moi.
C'était en effet un péché de jeunesse commis alors que Monsieur Stockmar était encore étudiant et dont la feuille de chou qui l'avait accueilli était tombée très à propos entre les mains de Nicolet.
Le jury, cela va sans dire, rapporta un verdict négatif et la cour un acquittement, non sans quelque embarras dans l'exposé des motifs qui se fit en délibération séance tenante.
Et Nicolet fut rendu à la vie publique, ce qui présentait moins d'inconvénients, bien sûr que pour son homonyme sans « t » final.
F.-L. S
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rquad.jpg   FOS © 24 novembre 2008

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[01]  François A. Reuse Presses polytechniques et universitaires romandes  [ retour ]
[02]  Albert Nicolet
Ouvrier graveur horloger à La Chaux-de-Fonds né le 23 mars 1850. En 1850, il est membre du comité fédéral de la FG de La Chaux-de-Fonds. Vers 1877 Il crée sa propre entreprise avec trois autres associés. L'affichage sur les murs de plusieurs villes de Suisse dont Berne, en août 1889 du « Manifeste des anarchistes suisses », imprimé en France par J.Grave lui vaut d'être traduit en justice avec ses comparses dont Charles Fridelance, Paul Janner, Marc l'Eplattenier, Arthur Monnin, Darbellay et Henzi. Tous furent relaxés à l'issue di'un procès d'assises fédérales qui eu lieu à Neuchâtel le 20 décembre 1889. En 1892, il diffuse avec Alcide Dubois et Jules Coullery un opuscule intitulé « Les anarchistes et ce qu'ils veulent ». A cette époque, il milite avec notament Aimé Bovet contre le socialisme réformiste qu'il accuse de pacifisme et de conformisme parlementaire. Il sera bientôt expulsé du Cercle Ouvrier comme anrchiste avec Aimé Bovet et Auguste von Gunten. Il rejoint Groupe Libertaire de La Chaux-de-Fonds en 1904 dont font partie, entre autres, Louis-Adolphe Maire, Henri Maire, Edouard-Auguste Linder, Charles-Alfred Reuge. On ignore la date de sa mort.  [ retour ]
[03]  Fusillade du 9 novembre 1932 à Genève Plainpalais Wikipédia  [ retour ]
[04]  François-Louis Schulé
Né à Saint-Imier en 1865, licencié ès lettres à l'Université de Neuchâtel. Après quelques stages en Angleterre et en Hollande, il entre en 1891 à la rédaction de la Feuille d'Avis de Neuchâtel et en devient le rédacteur en chef pendant jusqu'en 1934, date à laquelle il se retire mais ne cesse de coopérer occasionnellement au journal. Pendant la guerre de 14-18, il est emprisonné deux jours pour parution non conforme à « Anastasie » (La censure fédérale de l'époque).Il meurt en 1954 à Neuchâtel.  [ retour ]
[05]  Ami Girard
Avocat, notaire, architecte, colonel d'artillerie, né le 6 février 1819.  Officier, il prend part en 1844 à l'expédition des corps-francs contre Lucerne et en 1847 à la Guerre du Sonderbund. Il rejoint Fritz Courvoisier et les chefs républicains neuchâtelois. dans la nuit du 29 février au 1er mars 1848  à la tête d'une cohorte de 200 volontaires de l'Erguël et marche sur Neuchâtel. Il prend ensuite part à l'élaboration de la Constitution neuchâteloise dès la proclamation de la République. Député à l'Assemblée constituante de 1848 puis au Grand Conseil neuchâtelois de 1848 à 1854. Il est préfet de La Chaux-de-Fonds de 1851 à 1852 et conseiller d'Etat de 1852 à 1853,  En 1856, il participe à la répression de l'insurrection royaliste à Neuchâtel. Il est élu au au Grand Conseil bernois en 1859, ainsi qu'au Conseil national en 1860. Il s'éteint le 10 avril 1900 à Renan.  [ retour ]
[06]  Joseph Stockmar
Homme politique issu du parti radical, né en 1851, neveu du banquier Xavier Stockmar.  Péfet du district de Porrentruy de 1876 à 1878 et conseiller National de 1879 à 1897.  Membre de l'executif du canton de Berne, il en a été président à deux reprises.  A été très impliqué dans les controverses budgétaires ayant trait aux équipements ferroviaires suisses à la fin du IXXème siècle. On lui doit un ouvrage traitant de la ligne ferroviaire du Simplon. Il meurt en 1919.  [ retour ]

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