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Le 45

Notes

Frédéric O. Sillig



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Une promenade dans Paris, « au hasard » d'une rue, avec mon épouse. Je lui désigne une plaque qui indique le numéro de l'immeuble devant lequel nous sommes. Le 45. Danièle me regarde d'un air interrogateur, jusqu'au moment où elle éclate de rire lorsqu'elle réalise que nous nous trouvons rue Poliveau devant la maison qui abritait la boutique de Monsieur Jambier incarné par un Louis de Funès déjà orienté vers une grande célébrité. Un épicier qui subissait l'odieux marchandage de Grandgil (Jean Gabin) pour le prix du transfert, rue Lepic, d'un cochon de marché noir découpé dans quatre valises, devant un Martin (Bourvil) tétanisé par la peur de la Gestapo. Une scène qui se passait dans « La traversée de Paris», film proverbial de Claude Autant-Lara, sorti en 1956. Les hurlements de Gabin « Jambier, JAAAAMMBIER, 45, rue Poliveau ! », devenus légendaires, sont paraît-il toujours repris ici à grands éclats de voix par certains avinés du samedi soir, au détriment du sommeil des habitants du quartier qui ne manquent pas, selon une très vieille tradition, d'appeler ceux qui aujourd'hui ont remplacé la Gestapo.
Certains historiens émettent l'hypothèse que dans « Les Misérables », Victor Hugo avait imaginé le domicile du sinistre couple Thénardier dans cette rue01. Peut être une coïncidence, mais « Salauds de pauvres ! » est aussi une réplique emblématique de ce fameux film à grand succès qui contribue à une controverse sur son réalisateur dont les positions apparemment très protectrice des milieux populaires se sont en définitive orientées vers l'extrémité de l'extrême droite. Et même vers une députation européenne sous cette étiquette, qui lui fit assister à la sortie de l'hémicycle de la plupart de ses pairs, alors qu'il s'apprêtait à prononcer une allocution. Des propos ignobles à l'égard de Madame Simone Veil reproduits dans une publication mensuelle lui valurent aussi des poursuites pour incitation à la haine raciale. Enfin la récurrence permanente de son attitude lui procura une triste réputation au point d'entraîner son exclusion de l'Académie des Beaux-Arts dont il était vice-président.
En dépit des « explications de texte » de nombreux critiques de cinéma – sans parler des moindres – je n'ai jamais pu comprendre le réel message de ce film. Et encore moins la transformation du dénouement de l'histoire – par rapport à la nouvelle de Marcel Aymé, dont le scenario en est tiré – qui place une humiliante scène de rabaissement social de la part de Grandgil à l'endroit de Martin, devenu porteur sur les quais de la gare de Lyon, en lieu et place de l'assassinat pur et simple du premier par ce dernier. On m'a par ailleurs laissé entendre que cette séquence finale a été tournée cinq ans après le reste du film.

Mais c'est la récente vision du « Diable au corps02 » du même réalisateur qui m'inspire cette anecdote vécue par moi en 1964 peu après mes 18 ans. Il faut dire que ce film a été également l'objet de violentes polémiques au sortir de la guerre pour son apologie de l'adultère et de l'antimilitarisme. Et un incident, le jour même de mon premier anniversaire, lors de la « générale » du film à Bruxelles : La sortie intempestive de l'ambassadeur de France de la salle de projection.
Revenons en 1964. Mon père absent, il m'échoit d'accompagner ma mère au théâtre, invitée par les organisateurs du spectacle. « Charmante soirée » est le titre de la pièce de Jacques Deval à laquelle nous devons assister. La vedette du soir est Michel Simon, encadré de son actuelle petite amie Denise Dax et de Jean Lara, comédien émérite. Naturellement nous sommes invités à la petite réception qui fait suite à la pièce durant laquelle je n'ai pas réussi – non sans avoir insisté – à obtenir de Michel Simon, déjà fort imbibé du Chasselas local, la raison de l'échange des réels prénoms de son fils et de lui-même pour leur nom de scène03. Un peu plus tard ma mère a dû subir quelques instants, mais avec le sourire, les effets de l'éthylisme du grand artiste qui se sont plus tard terminés au poste de police après un scandale nocturne dans la cour de la maison où résidait Henri Guillemin04, heureusement absent ce jour-là, chez qui l'acteur voulait absolument terminer la soirée.
C'est au cours de cette réception que j'ai entendu, un invité interpeller de manière assez maladroite le comédien Jean Lara, avec qui j'étais en conversation, pour lui demander s'il y avait un lien de parenté entre lui et le réalisateur Claude Autant-Lara. J'ai pu percevoir un léger trouble chez cet acteur avant sa réponse négative en ajoutant avec une grande assurance qu'il ne le connaissait pas et qu'il ne l'avait jamais vu ni rencontré.
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Or, cinquante-deux ans plus tard, après la vision du « Diable au corps », je me documente sur la distribution du film pour m'apercevoir que le personnage de Jacques Lacombe, le mari de Marthe, la femme adultère, est incarné au générique, par un certain Jean Varas. Une recherche plus approfondie m'informe qu'il s'agit en réalité de Jean Joseph Marie Unsandivaras alias… Jean Lara.


rquad.jpg   FOS © 21 août 2016

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[01]  La description du trajet emprunté par Cosette en allant chercher de l'eau semble correspondre à ces lieux à l'époque de l'insurrection de juin 1832.  [ retour ]
[02]  1947 avec Gérard Philipe et Micheline Presle.  [ retour ]
[03]  Michel Simon s'appelait en réalité François Simon et son fils, l'excellent acteur François Simon s'appelait en réalité Michel Simon.  [ retour ]
[04]  Henri Guillemin  WIKIPÉDI  [ retour ]

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