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Le poulailler

Notes

Frédéric O. Sillig



À l'époque de mes huit ans, comme chaque semaine ou presque, fatigués de la morosité urbaine, nous nous rendons chez des amis de mes parents dans une bourgade de la périphérie. En fait, chez Monsieur le Maire et Madame. Fatalement investi dans le rôle d'un camarade de jeu, c'est d'assez bonne grâce que je m'associe aux activités diverses du fils de la maison, mon aîné d'une année ou deux. Ces activités diverses peuvent être souvent douteuses, même manifestement saugrenues, probablement du fait de l'ambiance générale assez schizophrénique qui règne dans cette famille. Ce qui par ailleurs n'a réussi à éloigner mon père d'une amitié très ancienne qu'une dizaine d'années plus tard à la faveur de la mort d'une vieille dame, tuée sur un passage clouté par le même fils qui venait me chercher; raison pour laquelle c'est moi qui fut immédiatement gratifié du statut d'assassin par les parents du jeune chauffard.
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Mais revenons à ce jour de candide enfance, où ma mère se remettait lentement de ses coupables émotions dues à un geste non maîtrisé; une coulure de soude caustique, destinée aux fourmis du balcon familial, dont le crâne chauve du voisin du dessous, assoupi sur un transat, fut le seul récipiendaire. Dès notre arrivée chez nos hôtes, mon acolyte, l'œil torve, me présente un sac de papier au contenu mystérieux, destiné à une expérience scientifique surprenante. Nous nous dirigeons discrètement à cette fin vers le grand poulailler de la maison, exploité et entretenu par l'une des grandes sœurs de mon compère. L'expérimentation doit se dérouler dans le plus grand secret, évidemment à l'insu de toute la famille. Les adultes enfin disparus à l'intérieur du pavillon après de bruyantes retrouvailles, le sachet est ouvert. Il contient une demi-douzaine de grappes de cassis obtenues d'un obligé condisciple, probablement d'origine bourguignonne. Après égrappage, chaque baie est expédiée d'une chiquenaude au milieu des poules picoreuses dont la proverbiale intelligence ne fait pas le distinguo entre ce fruit et le grain céréalier qui constitue leur pâture habituelle. Le résultat escompté ne se fait pas attendre. Les gallinacées arborent soudain une attitude rengorgée leur donnant une démarche et une portance très particulières. L'œil devenu fixe, elles se mettent à vaciller et croiser les pattes jusqu'à trébucher pour se rattraper dans un tressautement mécanique jusqu'à l'approche du grillage. Ce qui, entraînées dans leur élan saccadé, les fait repartir de plus belle dans le sens opposé.
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J'aurai pu oublier cet épisode cruellement inoffensif mais follement amusant. Mais il me revient à l'esprit, à chaque présentation de l'une de ces collections biannuelles entrevue au JT de 20 heures : Le spectacle grotesque du trottinement de créatures anorexiques à face de carême qui transportent avec emphase le produit du délire saisonnier de quelque gloire maniérée de la rue Cambon ou de l'avenue Montaigne.


rquad.jpg   FOS © 7 novembre 2013

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