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Les profondeurs de la publicité

Notes

Frédéric O. Sillig



Deux-cent quinze Livres vaudoises, c'est le prix que demande, en date du 19 mars 1831, le marbrier Tuvel à mon quadrisaïeul01 pour la fourniture de deux « conches »(sic). Quelques semaines auparavant le tanneur Mercier lui facture cinquante-huit Livres pour des courroies en cuir02. À quoi donc peuvent bien servir ces petites emplettes ? 
Le projet de mon ancêtre, négociant en denrées coloniales, consiste en l'adaptation du mécanisme d'un ancien moulin à eau en vue de créer une machine à fabriquer du chocolat. Soit un malaxeur sur la base des dessins d'un architecte nommé Perregaux, lui-même rétribué pour cette prestation de cinquante-six Livres. Une reconversion ambitieuse mais fort intéressante à l'instar de celle de François-Louis-Gabriel Cailler qui déjà en 1819, s'était essayé à cette industrie. La dite machine va être constituée d'un cylindre de pierre destiné dans un premier temps à broyer les fèves de cacao, puis ensuite à malaxer la matière résiduelle après adjonction de sucre et autres ingrédients durant le temps nécessaire à la fluidification du produit. Un procédé communément désigné par le vocable qui lui est propre : Le conchage. De la concrétisation de ce dispositif naîtra, en 1831, la première fabrique de chocolat portant le nom de son initiateur qui sera connu par la suite pour avoir assimilé des noisettes à son produit, Charles-Amédée Kohler.
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Vers 1865, il cédera son entreprise devenue prospère à ses deux fils03. Ces derniers auront la joie, en début des années 1870, de recruter un jeune apprenti bernois qui va leur faire l'insigne honneur d'accepter d'assimiler un savoir-faire accumulé depuis près de quarante ans. Après quelques années une proposition éthérée d'association à son propre projet d'implantation à Berne d'une nouvelle manufacture, leur tiendra lieu d'ex-voto. Les deux associés cèderont ensuite leur entreprise aux deux fils04 de l'un d'entre eux en 1879 date à laquelle l'ex-apprenti bernois, nommé Rodolphe Lindt05, fondera sa propre affaire dans sa ville natale. Entreprise qui sera vendue vingt ans plus tard pour renaître sous la raison sociale de « Lindt & Sprüngli ». Le destin de la société A. Kohler & fils connaîtra, lui, en 1904, une fusion avec Daniel Peter, rejointe par Alexandre Cailler en 1911, et enfin la sinistre absorption du trio par l'empire Nestlé en 1929.
Voilà le croisement de deux aventures artisanales devenues industrielles.

… Mais que peut-on lire aujourd'hui dans la publicité de l'une d'elles ?


« 
Quand le chocolat est arrivé en Europe, il n'avait rien à voir avec celui que l'on connaît aujourd'hui. Il était brut et sec, et ne fondait pas en bouche. Puis, en1879, Rodolphe Lindt a révolutionné la fabrication du chocolat par la technique du conchage. C'est ainsi que Lindt est parvenu à obtenir la texture veloutée et lisse qui distingue son chocolat d'entre tous.

L'invention du conchage
Rodolphe Lindt, qui rêvait de confectionner un chocolat extraordinairement lisse, a travaillé sans relâche à améliorer le procédé de fabrication de l'époque.
Un vendredi soir, M. Lindt est parti de l'usine sans achever son travail. On ne saura jamais s'il a oublié d'éteindre le malaxeur ou s'il l'a laissé fonctionner sciemment, mais l'appareil a continué de tourner toute la fin de semaine. À son retour le lundi, il a découvert que son rêve était devenu réalité : le chocolat était liquide, brillant et onctueux. Depuis, Lindt n'a cessé de perfectionner la technique, et, aujourd'hui, l'invention révolutionnaire de M. Lindt est utilisée dans toute l'industrie chocolatière. 
»



En d'autres termes, une négligence – façon Tatin – ou alors une extension de l'utilisation d'un dispositif de malaxage connu depuis un demi-siècle se métamorphose, dans le même texte, en une « invention révolutionnaire » issue d'un « travail sans relâche » accomplie en fin de XIXe siècle, époque à laquelle, tout le monde sait, – et même Jaurès en était conscient – que le travail s'interrompait le vendredi soir et reprenait paisiblement le lundi matin et aussi que l'on pouvait « éteindre » les machines bien avant la mise en place des réseaux de distribution de l'électricité.

« Étonnant, non ? » dirait Desproges s'il était encore parmi nous.
« (…) çà ose tout ! » dirait Audiard s'il était encore parmi nous.


rquad.jpg   FOS © 14 août 2021

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[01]  Charles-Amédée Kohler (1790-1874)  WIKIPÉDI  [ retour ]
[02]  Indications figurant dans les archives de la société Kohler, retranscrites par Cyril de Vires dans son excellent ouvrage de 2008  WIKIPÉDI  [ retour ]
[03]  Charles-Amédée Kohler II (1820-1884) et Adolphe Jules Kohler (1822-18??)  [ retour ]
[04]  Amédée Louis Kohler et Jean-Jacques Kohler  [ retour ]
[05]  Rodolphe Lindt (1855-1909)  WIKIPÉDI  [ retour ]


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copyright © by frederic o. sillig            info@sillig.net            bio