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Secret Défense

Notes

Frédéric O. Sillig



Un historien me contacte à l'automne 2002. Il est à la recherche d'éléments sur les activités de mon père durant la durant la 2ème guerre mondiale, alors qu'il faisait office d'homme de confiance « très discret » du chef suprême du « Renseignement » suisse, le colonel Roger Masson. Pas moins « très discret » au sein de sa famille, mon père avait bien sûr adopté sur ce sujet le comportement propre à ce genre de paroissien : Le silence. Il m'avait tout de même révélé – par inadvertance peut-être – son nom de guerre et celui de notre cousin Pierre qui travaillait dans son service. Par nostalgie ou par pure symbolique, je propose au solliciteur un rendez-vous à l'endroit exact où ma rencontre avec le colonel Masson, peu avant sa mort, m'a enfin dévoilé quelques éléments des missions confiées à son « discret homme de confiance », évidemment sous condition expresse de n'en souffler mot à ce dernier. Le personnage qui s'y présente à l'heure dite, visiblement valétudinaire, me fait voir un calepin relié de cuir marron. Soit un des deux carnets de notes manuscrites qu'il dit avoir en sa possession et qui répertorient un certain nombre des opérations transfrontalières du service – dont certaines m'avaient été décrites par Masson – mais dont les acteurs portent des pseudonymes impénétrables pour mon interlocuteur. J'observe en outre que les dites notes ont été rédigées par un certain « Lieutenant Cordey » c'est-à-dire précisément mon cousin Pierre Jaquerod. Nous projetons d'en décrypter ensemble le contenu dans un avenir prochain, mais mon interlocuteur meurt d'un cancer dans les semaines qui suivent. Veuf et résidant seul, son corps est retrouvé beaucoup plus tard. Mais pas les carnets…
Sur le point de nous quitter, mon historien me confie qu'avant de se reconvertir dans l'historiographie, il appartenait à la police politique et que c'est lui qui, jadis, avait arrêté le colonel Jean-Louis Jeanmaire accusé d'espionnage au profit de l'URSS. Au courant de certains aspects de cette affaire sordide, pétrie de dissimulations de pièces à décharge et d'autres lâchetés administratives et judiciaires, je lui fais remarquer en plaisantant que son « client » n'avait transmis aux Soviets que des renseignements qui se trouvent dans les kiosques à journaux. La chose ne m'a pas été démentie. Sourire discret.
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Cette anecdote me conduit directement vers une autre…
Racontée par un ami officier supérieur d'artillerie, qui me décrit ce qui lui est arrivé voici quelques années.

Un jour, il reçoit l'ordre de se présenter pour une information indispensable mais très confidentielle dans un fort creusé au plus profond des entrailles du massif alpin. La procédure pour accéder à l'entrée camouflée du souterrain est fort tatillonne. Papiers d'identité militaires, ordre de mission, prise d'empreintes digitales, portrait photographique etc. Mon compère est alors escorté par deux plantons généreusement armés, dans les méandres de nombreuses galeries qui s'entrecroisent et dont certaines sont dotées de rails de chemin de fer. Arrivées devant une porte blindée, un des plantons appuie sur un bouton mural, ce qui fait retentir un puissant signal sonore semblable à celui d'un sous-marin en phase de plongée. La porte s'ouvre. Elle est motorisée. Une ampoule nue éclaire la sorte d'antichambre qui contient maintenant la patience de notre visiteur involontaire, assis sur un banc de bois. Seul le murmure de la ventilation mécanique agace ses oreilles après le départ des plantons. Au terme de très longues minutes d'attente, un bruit de serrure se fait entendre du côté de la deuxième porte métallique qui fait face à la porte blindée. Une voix sèche profère une invitation à entrer dans un bureau on ne peut plus spartiate. Voici deux officiers généraux qui accueillent leur « invité » avec la chaleur d'une banquise antarctique. La porte est immédiatement refermée à clé. L'arrivant est prié de s'asseoir à une table sur laquelle sont déposés des documents relatifs à quelques nouveaux armements blindés et leurs équipements. Il est prié de les étudier au motif que leur connaissance approfondie lui est absolument nécessaire à l'aménagement de plusieurs casernes dont il a la charge. Mais les informations contenues dans ce dossier ne doivent à aucun cas être divulgués au dehors. Les notes sont interdites, les photographies aussi. À peine quelques minutes de lecture suffisent à cet artilleur pour constater que les dossiers comportent d'importantes lacunes par rapport au standard des documents de ce type. Il tente de les combler en interrogeant ses prestigieux amphitryons. « Secret Défense ! » lui rétorque-t-on avec arrogance. Mais l'heure du repas approche, il est alors invité à se représenter sous huitaine pour terminer son examen. La proximité du déjeuner lui fait parcourir à nouveau 350 kilomètres et perdre une deuxième journée d'un travail civil que l'on peut vraiment qualifier d'utile. Cette nouvelle fois, la procédure d'accès est toujours la même, excepté la séance photographique. Réception, papiers, plantons, couloirs, porte blindée, antichambre, attente, accueil glacial d'un des officiers de la semaine dernière et d'un autre tout aussi austère et prétentieux. Puis, une nouvelle invitation sentencieuse à poursuivre cette information indispensable… à l'élaboration de … etc.

Mon ami s'installe. Trois minutes de lecture simulée, lui servent de petite césure en prélude à une interpellation délibérément candide adressée aux deux super-galonnés du jour.

   — Ah oui !... J'y pense maintenant !... J'ai pu obtenir une réponse aux deux questions que je vous avais posées mardi dernier, souvenez-vous !... Sur les caractéristiques de nos trois nouveaux blindés… Cela, dans un document un peu mieux documenté sur la question que ceux-ci… Et, qui plus est, avec des planches en couleur !

Devant la mine incrédule de ces généraux d'opérette, il sort de sa poche un fascicule qui détaille absolument tous les renseignements requis au sujet des armements en question, mais cette fois dans le but de promouvoir les ventes de la reproduction à l'échelle 1/42ème de ces derniers, dans l'édition de Noël du catalogue de la plus importante chaîne de magasins de jouets du pays.
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rquad.jpg   FOS © 22 juillet 2017

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