tnnc.jpg
lgrise.jpg
rquad.jpg


La veuve

Notes

Frédéric O. Sillig



Atterrissage d'un ballon à gaz. Un atterrissage un peu mouvementé. Brusque. Voilà qu'on extrait de la nacelle un malheureux candidat au baptême de l'air dont la jambe est brisée. Spectateur, je suis très impressionné, j'ai sept ans.
veuve01.jpg
Une dizaine d'années s'écoule et je suis aux prises avec la figure centrale de mon récit qui pour l'instant souhaite mon départ de « son » établissement puisque l'heure de la fermeture est largement passée. Une imposante matrone, ancienne danseuse nue de Bucarest, qui a réussi à accrocher dans ses filets un fils de bougnat pas trop vivace mais bien campé dans des charentaises presque cossues et surtout bien inséré dans une coterie dont la rutilance trahit une récente mais réduite ascension. Le blessé de la nacelle; toujours claudiquant. Et aussi le propriétaire de la cambuse où j'ai en ce moment quelques habitudes. Côté mimétisme, ce personnage semble aussi doué pour le reflet d'Arpagon que pour celui d'Icare. Son empire limonadier comprend encore un sous-sol où dès minuit, des artistes immigrées et souvent colorées font découvrir leur anatomie à quelques exemplaires choisis de la coterie déjà citée, au son de quelque super 45 tours aux sillons défraîchis. Bien entendu sous la direction, artistique, de la même matrone roumaine, experte en chorégraphie mais aussi dans le remplissage de bouteilles de Veuve Clicquot. Sans entonnoir. Le Saint Ministère des époux est d'une portée pluridisciplinaire. Il réside aussi dans le recueil des âmes brisées, à l'image du cuisinier qu'une célèbre artiste noire a dû congédier à la suite de ses notoires ennuis financiers, à qui ils font l'honneur de pouvoir contribuer à leur apostolat gastronomique. En plus de la mise à disposition d'une chambre de bonne et d'un peu d'argent de poche. Le champ d'action du couple est maintenant encore élargi par l'héritage soudain d'un bar à café prospère établi dans une ville proche.
veuve02.jpg
Mais bientôt quelques nuages viennent voiler la sérénité du tandem sans toutefois porter préjudice à la santé des affaires. Un crémier fait irruption dans la vie sentimentale de l'ex-danseuse. Ce qui produit un effet stimulant sur la légendaire et stricte sobriété de cette dernière mais aussi sur l'éthylisme tout aussi légendaire de son époux. Le crémier est également laitier, fromager et désormais libéré de toutes charges familiales. Les affaires qu'il mène depuis une paire de décennies sont dénuées de concurrence, ce qui lui procure une aisance plus que confortable. C'est sans aucun mal que notre ballerine des Carpates arrive à convaincre son nouvel ami de se porter acquéreur de l'épicerie adjacente à son propre commerce de produits laitiers pour la convertir en bar à café; qu'elle se propose de gérer, à titre bénévole bien entendu. Mais voilà que les penchants alcooliques du mari finissent par avoir raison de sa personne. La pompe de ses obsèques est notable. Bientôt la charge est désormais trop lourde pour la veuve éplorée. La charge d'un établissement à titre bénévole et de trois à titre lucratif, c'est trop. Alors, le crémier pris de pitié se doit de prendre part au poids de ces écrasantes responsabilités. Il achète les trois établissements de la veuve joyeuse. Qualificatif encore plus justifié par le montant de la transaction concédé sans trop de difficultés. La voici tout de même gérante du bien de son défunt mari. Un bien qui ne lui appartient plus mais dont la contrepartie est désormais inscrite dans son patrimoine sonnant et trébuchant. Une situation qui ne dure à peine davantage que le temps que durent les roses puisque, les larmes maintenant presque séchées, le nouveau propriétaire se voit alertement signifier le chemin de la mairie. Ce à quoi il s'exécute en toute sérénité sans visite préalable à une quelconque étude de notaire censée atténuer les effets de cavitation dus à l'aspect communicant des vases patrimoniaux. Le bonheur s'est enfin installé dans cet environnement atypique. Le bonheur, c'est aussi une professionnelle initiation à la dive bouteille à laquelle le jeune marié adhère avec sollicitude. Une initiation homéopathique régulée par la toujours sobre patronnesse et appuyée par les membres de la coterie toujours présente dans l'établissement pilote, maintenant dirigé par son nouveau maître. La cirrhose finit par s'installer. Et de faire son bonhomme de chemin. Inexorablement. Et d'arriver à son terme en moins de deux ans. La pompe des obsèques est notable. À nouveau. Les jeux sont faits. La mise est doublée.
veuve03.jpg
De cette histoire, à défaut de morale, on peut en tirer la confirmation que la texture d'un foie imbibé de lactose n'a pas la même résistance aux acides que celui d'un individu issu d'une hérédité véritablement viticole. Tout le monde le sait. Même en Roumanie.


rquad.jpg   FOS © 17 mars 2009

PRÉCÉDENTE    ACCUEIL    SOMMAIRE    HAUT


lgrise.jpg

copyright © by frederic o. sillig            info@sillig.net            bio